ANNÉES-LUMIÈRE (1992-1993)

à Daniel BARENBOIM et Alain PROST - Editions Salabert
grand orchestre - durée : 19’
4(4pic).4(cor ang).4(clCB).4(cbn)-6.4.4(trbB).1,
saxS(Snino, Bar), 5perc, 1pno(cél)-crd(16.14.12.10.8)
commande : Etat pour l’Orchestre de Paris
création : 29 septembre 1993, Paris, salle Pleyel
Orchestre de Paris, Michel TABACHNIK (direction)

 

Note de programme

L'œuvre est une longue rêverie sur l'Univers. La forme générale comprend cinq grandes parties enchaînées sans discontinuité :
1/ Danse de l'univers est le champ d'un travail harmonique approfondi avec notamment une tentative de créer un espace courbe.

2/ Spirales d'astéroïdes confronte les masses harmoniques de la première partie, avec l'émergence de trois longues phrases rythmiques en forme de spirales ayant chacune sa propre autonomie.

3/ Cristal de galaxie propose un contrepoint mélodique à trois voix solistes (clarinette, saxophone soprano et cor) exécutées par les musiciens de l'orchestre.

4/ Gravitation composée de quatre sections, joue sur la perception du temps, avec des phénomènes de précipitation dynamique (creux d'orchestre), d'attraction par gravitation puis d'effondrement harmonique (vers l'œil de la galaxie). S'ajoute, au milieu de cette partie, une insertion brève d'un vitrail harmonique très coloré.

5/ L'univers en expansion prolonge certaines idées musicales d'imbrications harmoniques et de mutation du timbre, sur lesquelles se superposent des figures rubans (comme des faisceaux d'arc en ciel) sous-tendues par des notes répétées. L'œuvre s'achève par le vitrail harmonique de la quatrième partie, développé en immense Choral, démultiplié, projeté dans l'espace.

3A

 

→ Poème Années-Lumière, p. 49 in L'attente... L'absolu, Allain Gaussin, Paris, 2013.

 

Articles de presse

Sabine BÉRARD, musicologue, 13 février 2022

Années-lumière est époustouflante, inouïe au sens fort du terme, gigantesque, immense, babylonienne, impressionnante, terrifiante, terrible, d’une puissance et énergie phénoménales, tragique, pathétique, dramatique… Dense, vibrante, mais non épaisse, non compacte est votre œuvre ; vibrante, infiniment mobile, propulsée toujours plus avant, la matière sonore est animée de l’intérieur par un mouvement irrépressible qui s’empare du temps et de l’espace (hors un temps de rupture) dans un discours conduit de main de maître, qui emporte l’auditeur et l’oblige à vivre intensément son déploiement ; elle joue, par ailleurs, de façon stupéfiante, sur un chromatisme intégral parfaitement perceptible et des micro-intervalles traités de toutes les façons possibles et imaginables. Ni Wagner, ni les sériels, ni bien d’autres, n’avaient envisagé le chromatisme de cette façon ! … comme quoi il reste encore bien à faire avec les sons de l’univers sonore traditionnel, enrichis par les micro-intervalles et autres encore… Discours mu, de surcroît, par une « volonté », un projet qui savent parfaitement vers quoi ils tendent… car terriblement expressifs, d’une tension, parfois, extrême.
Vous êtes un grand, un authentique compositeur ; soyez en remercié..

 

Jany CAMPELLO, ResMusica, 17 février 2022

Quittant le studio 104 pour l’auditorium, nous entrons dans une autre dimension. Départ pour le cosmos avec pour commencer, Années-lumière d’Allain Gaussin. Un effectif orchestral imposant avec piano et célesta, encerclé de cinq percussionnistes, pour cette pièce ambitieuse composée et crée par l’Orchestre de Paris en 1993, qualifiée de « longue rêverie sur l’univers » par son compositeur. En cinq parties ayant chacune leur procédé de composition (Danse de l’univers – Spirales d’astéroïdes – Cristal de Galaxie – Gravitation – L’univers en expansion), elle progresse depuis les sourds tremolos des grosses caisses vers un effet de masse sonore grossissant et en constante évolution, mue de l’intérieur par une énergie semblable à celle d’un magma en fusion, multipliant les frottements harmoniques en surchauffe jusqu’à de tonitruantes déflagrations. Expansion et accélérations, crescendi gigantesques, accumulation, agrégation de timbres et de sons dans l’échelle spectrale semblant s’étendre des infra-sons aux ultra-sons, utilisation de micro-intervalles, sont autant de moyens additionnés pour produire un effet phénoménal…

 

Michèle TOSI, ResMusica, Concert inaugural du Festival Manca de Nice sur la scène de l’Opéra, 6 décembre 2017

L’astronomie passionne depuis toujours Allain Gaussin, comme en témoigne le titre Années-Lumière, l’une de ses partitions d’orchestre les plus foisonnantes achevée en 1993. Un pupitre important de percussions s’ajoute à l’orchestre mettant les vents par quatre. Il s’agit pour le compositeur d’élaborer d’un seul tenant une trajectoire du Temps et des Couleurs conduite par de longs processus qui vont densifier progressivement la matière ou la réduire à quelques timbres purs. La qualité des textures des premières pages Danse de l’univers, superbement rendues par l’orchestre, renvoie l’écoute à un « au-delà électrique » très troublant. Entre tension exacerbée, éclatement de l’espace et brusque déchirure (cuivres graves contre piccolos), le traitement des masses sonores dans cette grande vibration du cosmos n’est pas sans rappeler celui de Xenakis. Spectaculaires également sont les « figures rubans », sorte de lignes-fusées qui s’échappent du magma sonore de la cinquième et dernière partie L’univers en expansion. L’embrasement de l’espace sous la résonance des tam, gong et autres percussions résonnantes confèrent aux dernières pages une dimension verticale et visionnaire qui rejoint ici le geste du maître Messiaen. À la tête d’un orchestre très coopérant, le chef argentin Fabián Panisello parvient à créer une synergie au sein de pupitres très sollicités qu’il galvanise de sa direction aussi efficace que puissante.

 

Alphonse DROUAN, courriel d’un auditeur niçois adressé à Allain GAUSSIN, 4 décembre 2017

…encore merci pour cette œuvre qui déborde de sons qui suintent d'émotion ou qui explosent de fureur. A l'issue du concert, j'ai effectivement plané autant avec l'ange de Berg qu'avec les volutes et débordements des Années-lumière.

 

Jacques BONNAURE, La lettre du musicien n° 139, Concerts, Années-Lumière d'Allain Gaussin, novembre 1993

Créée par l'Orchestre de Paris dirigé par Michel Tabachnik, Années-Lumière appartient, un peu dans la lignée de certaines œuvres de Messiaen, à ce courant métaphorique de la musique contemporaine, où l'œuvre, sans être descriptive, se laisse féconder par de larges visions. Ainsi les titres mêmes des cinq parties peuvent-ils, outre leur pouvoir poétique, engendrer des structures musicales originales. L'œuvre est conçue pour un orchestre très ample,...  Années-Lumière est une pièce forte et évocatrice, sans concession, mais d'une architecture agréablement lisible. Les cinq parties qui la composent, suffisamment contrastées, mais aussi agencées avec une parfaite logique, soutiennent l'intérêt. La partie médiane (Cristal de Galaxie), centre de gravitation poétique de l'œuvre, est constituée d'un beau contrepoint instrumental à trois voix, qui témoigne de la préoccupation mélodique du compositeur...

 

PIERRE-PETIT, Le Figaro, Arrière Garde, 2 octobre 1993

Il y a bientôt quarante ans que les mêmes causes produisent les mêmes effets et que les mêmes fausses recettes mènent aux mêmes déplorables résultats. En écoutant Années-Lumière, commandée par l’Etat pour l’Orchestre de Paris à Allain Gaussin, j’étais frappé par cet immobilisme des moyens utilisés par certains compositeurs « dans le vent ». Toujours ces longues tenues aux cordes, toujours ces pleurnicheries aux cuivres, toujours cette surabondance de percussions qui tient lieu de trompe - l’oreille. Et, même si le vent a commencé à tourner depuis quelque temps, il reste des irréductibles qui campent sur leurs positions.
A 50 ans, Allain Gaussin livre un combat d’arrière-garde en restant fidèle à un attirail désormais désuet. Son orchestre évoque tantôt un étang en folie, tantôt un essaim d’abeilles furieuses, tantôt les dernières minutes de l’Apocalypse. C’est gratuit, c’est vilain, c’est désolant, et les commentaires de l’auteur, sur le programme, n’arrangent rien par leur prétention faussement poétique. Le public a copieusement hué le malheureux compositeur qui, pourtant, avait eu droit à tous les soins de Michel Tabachnik au pupitre, précis, chaleureux et efficace…
… et la partition de Rachmaninov nous a heureusement lavé les oreilles, quelque peu encrassées par ces regrettables
Années-Lumière.

 

___ haut de la page